Soljenitsyne et la présence
Dans l’Archipel du Goulag, Soljenitsyne raconte qu’un des plus beaux moments de sa vie a été vécu lorsqu’il était au goulag et qu’il sortait pour la promenade (très brève) qui devait l’amener aux toilettes.
Avec force détails, il raconte la beauté du Ciel, les feuilles mortes au sol, le soleil très chaud qui faisait tout à coup et pour quelques minutes, perler la sueur à son front, puis le soulagement énorme de pouvoir aller aux toilettes et la légèreté immense qu’il ressentait par contraste en revenant des toilettes, comme si son corps était tout neuf et prêt à tout et comme il profitait du vent avec avidité mais sans non plus se rebeller d’être ramené dans la prison après très peu de temps…
Je suis restée absolument saisie de ces pages.
Leur sincérité était si évidente, si criante, on sentait son bonheur tangible à l’évocation de moments qui sont… d’un sordide incontestable. Mais il était heureux. De quoi ? D’être pleinement présent, de vivre à 100% cet instant d’accord total avec son corps, d’être totalement disponible pour recevoir ce vent, ce soleil, cette feuille, comme si toute sa vie était brutalement éclairée à la lumière du sacré.
Jamais, dit-il, il n’a plus eu des sensations aussi fortes.
On peut penser que notre Russe a vécu un moment de méditation de pleine conscience tellement intense que ça peut nous servir de guide. Ce qui est clair, c’est qu’il a su apprécier ce qu’il vivait sans qu’une cellule de son corps ne puisse penser à autre chose. Ce qu’il vivait, était le plus essentiel, le plus intense possible.
D’abord parce qu’il n’avait pas d’autre choix que d’être là et ensuite parce qu’il a su accepter totalement les conditions dans lesquelles il se trouvait, et cette adhérence absolue a créé en lui la sensation de sacré qui tout à coup a resurgi sans plus un doute à l’intérieur de lui-même…
A la réflexion, on aurait envie de savoir goûter à ce qu’on a avec la même intensité, ce qui parait justement la clef du bonheur et de paix intérieure.